Comment une mauvaise mémoire peut vous mettre la honte

« Eh ben alors, qu’est-ce que t’as foutu ? »

Pendant ce temps dans la vie de Delphine


Me voilà en train d’écrire encore toute suante après avoir dégusté une tom yum soup presque froide…

L’histoire commence alors que nous sommes posés à un restaurant près du marché de nuit de Kabin Buri, une toute petite ville à l’Est de la Thaïlande. Un gentil thaï parlant bien anglais vient de nous aider à commander une tom yum kung, notre plat favori ici et qu’on souhaite déguster une dernière fois avant de partir. Nos papilles frétillent d’impatience. Je me dis, qu’avant d’oublier, il faut que je m’enregistre une note sur mon portable pour recenser les applications indispensables au voyage à vélo.

J’ouvre la sacoche avant du vélo, où j’ai l’habitude de ranger mes papiers, l’appareil photo et le téléphone. Je fouille une première fois, une seconde. Pas de téléphone. Je vide tout avec frénésie. Pas de téléphone.

Ah oui ! Merde ! Il doit être au premier restaurant où nous avons tenté d’aller. Une cantine aux murs de couleurs verte où nous avons essayé de commander à manger à la jeune fille présente. Nous avions tenté de lui expliquer que nous voulions une tom yum soup. Elle ne pipait pas un mot de ce que nous racontions en thai ou en anglais. Et nous de même. Elle répétait une phrase que nous ne sommes pas arrivés à comprendre. Pour me faire comprendre, j’avais sorti l’appareil photo pour lui montrer une photo de la tom yum, mais communication impossible. On a alors remballé pour aller au marché de nuit.

Alors que la soupe du marché arrive fumante, je me lève de la table et me met à courir vers le restaurant. Arrivée dans la rue, je vois un portail de fer fermé. Et merde ! Je tente de regarder à l’intérieur, il y a de la lumière… Voyant mon cirque, un homme en marcel blanc et pantalon à pince m’interpelle en thaï du trottoir d’en face. Il me rejoint. Je tente de lui expliquer : « I forgot my phone in the restaurant ». Il ne comprend pas, je lui mime la phrase. Il est sceptique. Puis je vais encore davantage devant la grille en disant « My phone is inside !! ». Il me répond « no, no ! ».

Je me dis qu’il veut me signifier que c’est fermé. Avec ces lumières à l’intérieur, je me dis que les personnes doivent pourtant être présentes. Il suffirait donc de toquer ou de sonner. Ou alors tout simplement d’appeler les proprios. « Could you call them ? ». L’homme ne comprend pas, je lui parlais de mon téléphone, voilà que je lui parle désormais du sien.

Il m’invite à le suivre dans une rue perpendiculaire en me disant (enfin) qu’il est policier. J’aperçois en effet le pistolet à sa ceinture. Je lui suis, un peu sceptique. Je ne comprends pas pourquoi nous partons. Il me montre du doigt un bâtiment. « hotel, hotel ». Je m’arrête et lui dit « Ah no ! I don’t need an hostel ! ». On retourne dans la rue, nous avons de nouveau la même conversation et il me convainc de lui suivre vers l’hôtel en me faisant comprendre que nous allons y trouver de l’aide. Soit. Je le suis un peu perplexe.

J’entre dans le hall en me disant. « Ah ben oui bonne idée l’hôtel, ils doivent parler anglais ! ». A quelques mètres de la réception la dame me lance d’emblée : « No, no, no ! ».

– « No, no what ? », réponds-je surprise. Et lui lance « Do you speak english ? »

– « Aaah no ! », rétorque-t-elle désolée.

S’en suit un dialogue de sourd. La dame m’indique en me montrant son téléphone qu’elle va entreprendre quelque chose mais je ne comprends pas quoi. Entre elle et moi, un gros chat tricolore roupille tranquillement sur le comptoir. Je tente de me montrer détendue en le caressant et en souriant. La dame passe des coups de fil. L’un des appels se conclut par un « no have phone » sans que je sache qui était au bout du fil… Je ne comprends pas. Sait-elle du restaurant dont je parle alors ?

Puis, elle continue à tapoter son téléphone. Et m’invite fermement à aller m’assoir dans le hall. Chose dont je n’ai pas tellement envie. Je vois bien que l’heure tourne et je commence à me dire que Samy doit se demander ce qu’il se passe. Mais je m’exécute. Le policier vient s’assoir à côté de moi. Il me répète « Phone, phone ! » en me montrant du doigt et en souriant. Lui-même tient le sien dans sa main et j’entends des tonalités. Il doit être en train d’appeler quelqu’un mais je ne comprends pas qui. J’abandonne l’idée de lui poser la question, tant chaque nouvelle question me met le doigt dans des engrenages d’incompréhension mutuelle.

La dame lance un cri sans me regarder ce qui semble me dire de revenir au comptoir. Elle me tend son téléphone semblant me proposer de composer mon numéro. Le clavier est en thaï. Je n’y comprends rien. Elle me tend alors un papier et un crayon en disant « Number » et en me montrant du doigt. Je comprends qu’elle veut appeler mon téléphone. PUTAIN !! Dans mon portable se trouve la carte SIM malaisienne, je me souviens pas du numéro !! Je leur explique que c’est un numéro malaisien et que je ne m’en souviens pas. Je les vois alors complètement interrogatifs.

La situation commence à me mettre très mal à l’aise. Je ne sais plus par quel bout prendre la situation. Je m’impatiente un peu et tente à la fois de garder le sourire. Je caresse le chat et lance des « khop kun ka » (merci) avec un grand sourire.

Quand la réceptionniste me retend son téléphone pour que je fasse une recherche Google, en thaï bien sûr, j’ai alors l’idée de communiquer par Google traduction. Elle comprend enfin que je ne peux pas utiliser le clavier thaï. Elle le change pour l’alphabet anglais. Je lui écris : « j’ai oublié mon téléphone dans le restaurant ». Manœuvre qui prend 10 plombes car le clavier est en qwerty et je dois bien faire attention à mettre les apostrophes et les accents, sans quoi la version thaï sera absolument incompréhensible. Déjà qu’ils me prennent pour une timbrée, autant gagner du temps…

Elle lit la phrase en thaï, lance un « Ah » à moitié surpris. Je crois qu’ils avaient compris ce que je voulais dire. Puis, elle m’écrit « le nom du restaurant ». Je commence à perdre patience intérieurement, et leur répond encore une fois « I don’t know because it’s written in thaï, I don’t know thaï alphabet » en montrant désespérément les lettres sur le clavier.

Là, la dame reprend le téléphone, et comme toute dame de 50 ans qui se respecte, met une plombe à m’écrire la réponse, se trompe, ferme malencontreusement la fenêtre, ne comprend pas et en conclut que le téléphone est probablement cassé.

« Heureusement », ce qui a l’air d’être son fils est arrivé entre temps. Gros espoir ! Il est jeune, il doit parler anglais. Que dalle ! Il me pose des questions dans un pseudo anglais en machouillant une paille de briquette de jus de fruit… Puis saisit le téléphone des mains de sa mère en lui faisant comprendre qu’elle est malhabile du clavier. Cette dernière se « venge » en lui arrachant gentiment le jus de fruit des mains et en lui reprochant sa nonchalance. Derrière, le policier se marre comme une baleine.

Entre temps, quelqu’un a téléphoné à la réceptionniste. L’appel a duré 5 secondes, et l’homme au bout du fil à prononcé une dizaine de mots parmi lequel « francès ». La nouvelle que deux Français se trouvent en ville a visiblement déjà fait le tour ! Je réponds « Yes, yes, Français ! ». Le policier me pose la question trois fois et commente « Frrancès, Frrancès ? » en souriant !

J’écris sur Google traduction « je sais où se trouve le restaurant ». Le jeune, pas plus habile que sa mère, écrit « will bring ». Je comprends que cela veut dire que le policier va m’y amener. OK. Retour à la case départ donc.

Je ressors avec le policier. Celui-ci s’écarte vers le milieu de la route, main sur la crosse de son pistolet et en faisant bruyamment tinter ses clés. Je le sens investi d’une grande mission ce soir ! Il me dirige vers la station de police, j’insiste, sûre de moi, pour retourner devant le restaurant. Entre temps, le policier arrête un homme en scooter dans la rue. Ce dernier me lance « no telephone » en se désignant. Je ne comprends plus rien. Nous retournons devant le restaurant. D’autres gens se trouvent en face dans la rue. Je retourne devant la grille et le policier me lance encore « no, no, no ! ». Je comprends qu’il veut me dire que ce n’est pas un restaurant. J’explore alors les autres magasins, tous fermés. Voilà un coiffeur, puis une épicerie et enfin une maison… Je commence à être perdue.

Nous finissons devant les magasins d’en face. Une dizaine de personnes sont là, je demande désespérément, « English ? English ? ». Plusieurs d’entre eux me désignent du doigt les enseignes des magasins en disant « Number, number ». Je décide d’abandonner et de revenir demain matin. Mais comment le leur faire comprendre ?

Je lance des « kop khun kaaaa », « kop khun kaaaa », « kop khun kaaaa ». Et commence à repartir. Le policier traine la patte et discute. Je voudrais me dépêcher mais je ne veux pas partir comme une voleuse alors qu’il a gentiment tenté de m’aider. Et d’un autre côté, Samy m’attend.

Pour lui faire comprendre, je tente un « sawadi kaaa » bien long, avec mes deux mains jointes devant moi. Et tente de lui expliquer que je dois absolument y aller car mon mari m’attend. Nouvelle information, nouvelles incompréhensions. Je me perds dans un mime de bague au doigt en pointant du doigt le marché de nuit. Mais je vois bien qu’il ne saisit pas ce que je veux lui dire.

Il me propose, enfin c’est ce que je crois comprendre, de m’amener, je refuse le plus poliment possible, n’étant pas sûre que nous parlions de la même chose ! Il repart dans sa station de police et moi en nage à la fois honteuse, stressée et sur les nerfs, je file en courant pour retrouver Samy qui doit bien s’inquiéter. Je le croise sur la route avec la soupe et le riz dans un doggy bag. « Et ben alors qu’est-ce que t’as foutu ? » Je lui explique la situation et, arrivés au coin de la rue, il me lance : « Ah mais non, le restaurant c’est la rue d’après ».

Je me liquéfie de l’intérieur ! Tout ce cirque ! Et moi si sûre de ce que j’avançais et de me trouver au bon endroit. Je suis morte de honte. Nous arrivons au restaurant. Le bon cette fois. Une dame est assise en train de téléphoner. Je tente de lui expliquer que j’ai oublié mon téléphone ici. Elle me passe directement la dame au bout du fil qui semble parler anglais. Après avoir écouté la traduction de son amie, la restauratrice me montre alors les chargeurs de téléphone. Mince, elle n’a pas compris. Je me sens repartie dans une demi-heure de tentative de communication. Allez, courage ! Je retente une explication avec la femme au bout du fil qui me demande si j’ai besoin de téléphoner. Puis, miracle, Samy retrouve mon téléphone sur une chaise ! RAAAAAAAAHHHH !

Pendant ce temps dans la vie de Samy


19h32 

Delphine : Putaiiiiiin mon téléphone !!!

Moi : Ha ben tu l’as oublié où ?

D. : Au restau tout l’heure ! Putaiiiiinnnn non grrrrrrr !! Putaiiiiiin c’est pas vraiiiii !! rhhaaaa !

Moi : Mais tu l’as posé ? Mais pourqu.. ?

D. : Heeeeee ben oui à ton avis, je l’ai posé parce-que je suis nuuuulle pfff t’es bête ou quoiiiiiiii ?

Moi : Ben va le chercher alors…

D : ok j’y vais merrrdeeeeeeeeeputaiiiiiiiiinnnnnnn

19h33

La Tom yum soupe est fumante sur la table. Snirf certainement la dernière du séjour en Thaïlande. Delphine est partie chercher son téléphone dans le restaurant où l’on a failli manger. La serveuse ne comprenant pas que nous souhaitions savoir s’ils servaient la fameuse soupe coco, nous nous étions enfuis au bout de 5 minutes de tentative de traduction infructueuse et de sourires gênés.

19h36 

Boarf c’est à 5 minutes. Et puis ils sont supers honnêtes ces Thaï. A tous les coups, elle va le retrouver, il n’aura pas bougé, posé là, oublié sur la chaise. Bon je vais boire ma bière moi pendant ce temps…

19h40

Rhaaa sacrée Delphine… La soupe va refroidir. Tiens, je vais demander une assiette pour la garder au chaud. Voilà. Hop, je me remets un p’tit godet pour fêter ça.

19h42

Ça fait 10 minutes, elle ne devrait pas tarder. Punaise j’ai la dalle. J’espère qu’elle l’aura retrouvé tout d’même. Mmhhh rien à l’horizon. C’est quand même étrange cette manie de mettre des glaçons dans la bière en Thaïlande…

19h45

Bon, j’sais pas trop ce qu’elle fout là… C’était pas loin pourtant. Si elle la retrouvé elle devrait être là déjà… ou bien elle les remercie et n’ose pas couper la conversation. Peut-être qu’elle ne l’a pas retrouvé et qu’elle est entrain de les pourrir jusqu’à ce qu’ils lui rendent.. Héhé sacrée Delphine. Bon… pfff !

19h50

Bon, eh ben moi, j’ai plus de bière. Je l’ai bu vite punaise. Je ne sais pas ce qu’elle branle là. Rhhhh !! J’espère que ça va tout d’même. Ça doit aller, c’est safe ici, les gens sont sympa. Je rallume mon réseau de portable, on ne sait jamais si elle a besoin. Elle a rien sur elle en plus, ni thune, ni portable, ni passeport. Non mais il va rien lui arriver c’est sûr. Je la vois pas là quand même putain. Pfffff !

Puis tous les gens de la terrasse et le serveur se demande ce qu’on fout. Je vais payer et la retrouver et puis… Non, je divague, elle va bien finir par arriver…

Rien je ne vois rien. Qu’est-ce qu’elle fout làaaaaaa…?

19h52 

Le serveur vient me demander ce qu’il se passe… j’explique à base de hochement de tête et de : « My wife forgot her cell phone… I don’t know if… I’m waiting she…but… » Ggnniiiiiiii  !

19h55 

Bon allez, je vais payer et j’me casse. Je vais prendre tout ça à emporter. C’te fucking soupe là. Bon ben voilà elle a du se perdre ! Putain mais c’est pas possible, c’est tout droit en plus… Ou alors un truc grave ??? Non putain pas le pire… ! Pas moyen ! Oublie ça vite. Bon allez je vais la retrouver. Sawadi ciao c’est ça ! Grrr Delphineuuuu t’es où bordel de nœud !

19h56 

Allez j’y vais. Et si elle vient là et que je n’y suis plus… ? Rhooo bah non attends c’est tout droit on ne peut pas se louper. Bon allez Delphiiiiine, tu reviens tout de suite là !

20h 

Mais qu’est-ce tu ouuuuf ? Han ! Elle va apparaître là. Non mais c’est un sketch c’est pas possible…

haaaaaaa punaiiise, enfin ! Elle arrive en courant…Yeees !

Mais pourquoi elle court ? C’est quoi ce binz ?

« Et ben alors qu’est-ce que t’as foutu ? »

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